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Tsilla's Univers
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23 octobre 2014

Critique de Prométhée vagabond d'Alexis David-Marie

 

Source: Externe

 

Sûrement inspiré d'une pièce d'Eschyle (Prométhée enchaîné) dont il porte fièrement le nom, ce livre est extraordinaire ! Avant de vous livrer ma critique, voici un résumé de la pièce grecque, pioché sur une quatrième de couverture des éditions BELIN, certainement rédigé par un stagiaire sous-payé, à quatre heures du matin :

« Prométhée Déroba le feu céleste pour le donner aux hommes. Zeus le condamna à rester enchaîné sur un mont du Caucase où Héraklèse le délivra au bout de trente mille ans». En apportant le feu aux hommes, Prométhée a fait bien plus que leur permettre de cuire et consommer des viandes sacrificielles. Il leur a apporté la lumière - ne faudrait-il pas dire les Lumières ? - celle qui aide l'Homme à se sentir responsable et à tracer lui-même son avenir, au moins dans les domaines qui sont les siens. Et c'est cela sans doute que Zeus ne lui pardonna pas. » Au passage, vous noterez la faute d'orthographe, le pauvre Héraclès, paix à son âme.

En fait, le sacrilège de Prométhée était d'autant plus grand qu'il ancra les Hommes dans leur condition humaine. Avant qu'ils aient besoin de se nourrir, de travailler et, accessoirement, de se reproduire -c'est Hésiode qui le dit et bien d'autres après lui-, les Hommes vivaient en harmonie avec les dieux. L'âge d'or. Zeus -ou Jupiter pour ces impies de latinistes- n'était pas encore roi, et le monde était sous la régence de Cronos -ou Saturne- et des Titans. Afin de conserver son pouvoir car il lui avait été prédit que ses enfants lui ôteraient des mains, il les mangea tous. Sauf Zeus. Au moment de le livrer à son père qui avait une petite faim (il n'y avait pas de barres de céréales à l'époque) la mère de Zeus l'échangea contre une pierre. Cronos, en le dévorant, ne remarqua rien. Il était donc préférable qu'il se fasse destituer, parce que confondre un caillou et un bébé, quand on est le maître du monde, ça craint. Avec Zeus, advint l'âge d'argent. Les Hommes commencèrent à creuser la terre. Un Titan, Prométhée, décida de défier les dieux, car il était en proie à son hubris. Il s'agit d'un orgueil qui verse dans la démesure. Pour vous le figurer, il suffit de croiser la soif de pouvoir de Jaffar avec la folie narcissique de la belle-mère dans Blanche-Neige. L'association des deux engendre un être dont l'arrogance est telle qu'il se croit supérieur aux dieux. Prométhée était de ceux-là, et il vola notamment le Feu des dieux, qu'il apporta aux Hommes. Il fut ensuite enchaîné sur une montagne par Héphaïstos (le dieu Forgeron, moche et boiteux, un Quasimodo antique, que ces blasphémateurs de latinistes appellent Vulcain). Un oiseau vient chaque jour lui picorer le foie qui repousse toutes les nuits, ad vitam aeternam. Maintenant que vous avez bien le mythe en tête et une idée de la pièce d'Eschyle, voici le résumé de Prométhée vagabond d'Alexis David-Marie.

« Résumé :

1674. Paul, étudiant en quête de rédemption, est envoyé à la recherche de Larpenteur, théologien devenu auteur de pamphlets impies. Parcourant les chemins d’un Grand Siècle de boue et de neige, très loin des ors de Versailles, ils lient leurs pas à ceux de nombreux compagnons de fortune. De mésaventures en péripéties, à travers le Saint-Empire et la France, une amitié se tisse entre les deux hommes. Prenant exemple sur Prométhée, ils devront dépasser la souffrance, brûler leurs certitudes pour espérer apporter la lumière.

Roman picaresque, Prométhée vagabond questionne la difficulté et la nécessité de penser contre les habitudes, les majorités et toutes les pesanteurs du monde ; le plus dur étant toujours de reconstruire sur les cendres des croyances que l’on a mises au feu. »

Je vais commencer par les bémols de ce récit harmonieux.

En fait, je regrette POUR UNE FOIS que l'auteur ne donne pas de plus amples explications sur les habitudes culturelles et cultuelles des personnages, ainsi que sur le contexte historique. Comme je suis une folle dingue de cette période, je vais me faire un plaisir de vous dévoiler ce que l'auteur n'explicite pas.

L'histoire se déroule sous le règne du roi Soleil. Arrivé au pouvoir après une régence assurée par Anne d'Autriche et son parrain le Cardinal de Mazarin, Louis XIV assume le pouvoir dès le décès du Cardinal en 1661. Traumatisé par la FRONDE, événement durant lequel les nobles tentèrent de prendre le trône par la force, le petit Louis désire plus que tout, en bon psychopathe, assouvir et étendre son pouvoir. Il se lança donc dans une conquête belliqueuse de l'Europe. Il refusa une alliance avec la Hollande en 1672, alors qu'il persistait des tensions avec l'Espagne et la dynastie des Hasbourg (dont Marie-Antoinette serait une des descendantes) avec laquelle il se disputait la Flandre. Louis XIV fit entrer la France en guerre avec les deux nations. En même temps.

La France était alors catholique, la Hollande protestante. Il se mit à dos les puissances européennes, les protestants, ainsi que le pape parce qu'il revendiquait une monarchie de droit divin. Seul contre tous.

Parallèlement à ces guerres extérieures, la France connut des conflits internes à cause, notamment, de la hausse forfétaire du papier timbré. Fallait-il en déduire que Louis XIV était lui-même timbré ? (je m'excuse de ce jeu de mot).

Pour comprendre l'importance de cette affaire qui déclencha une révolte en 1675, replaçons-nous dans le contexte. Le papier timbré permettait d'enregistrer les actes administratifs. Ils sont les ancêtres des timbres fiscaux. Ces timbres étaient payants. En plus d'être rendus obligatoires par le Roi absolutiste, leur prix augmentèrent, entraînant des révoltes. Les insurrections furent réprimées et sanglantes.

Enfin, la France n'était pas telle que l'on la connaît aujourd'hui. Le plus paradoxal étant que peu de Français parlaient le français. Les dialectes et langues régionales étaient davantage usitées, ainsi que le latin, qui fut longtemps langue officielle des documents administratifs. Le latin était aussi employé afin de communiquer entre les différentes nations qui avaient elles-aussi plusieurs langues et dialectes. Seuls les nobles et les bourgeois qui avaient reçu une éducation maîtrisaient l'usage d'une ou plusieurs langues. Les Universités parisiennes de la Sorbonne étaient tenues par l'Eglise. Les étudiants étaient reconnaissables à leur tonsure. 

Critique :

Si ce livre ne m'avait pas passionnée, je n'aurais pas écrit tout un fromage sur Prométhée et sur Louis XIV. J'espère que ma chronique vous transmettra mon exitation palpable.

J'AI ADORÉ !!!!!!

Alexis David-Marie a une plume superbe. J'ai relu plusieurs fois certains passages, tellement j'étais happée par la tournure des phrases ou la poésie qui s'en dégage. Je vous en livre une magnifique citation : "La conscience est à la fois ciel et enfer." LA MEGA CLASSE ! Sartre et son "l'enfer, c'est les autres" peut aller se rhabiller.

Ce que j'aime encore plus, c'est l'originalité du livre. Il n'appartient à aucun genre littéraire. Il est inclassable. A la fois roman picaresque (typique de la fin XVIème, début XVIIème : un personnage vagabonde dans diverses couches sociales et comprend que le monde n'est qu'un théâtre et qu'il est un personnage sur la scène du monde), tragédie grecque (notamment à cause de Paul et de son secret), texte philosophique (tellement plus crédible que les Lettres Persanes) et quelques fois dramatisé comme un conte de Voltaire... Avec une noirceur digne de Game of Thrones ! Ce roman n'est pas ennuyeux : on se laisse traîner et emmener par les personnages et leurs mésaventures. Il m'a été impossible de deviner la trame scénaristique à l'avance. J'ai éprouvé les sentiments des personnages, et je me suis accrochée à eux malgré toute l'antipathie qu'ils m'inspiraient au premier abord. 

J'ai ri, j'ai pleuré, je me suis complètement laissée retourner...Tout en apprenant de nombreuses anédoctes historiques, politiques, ou religieuses. 

La religion chrétienne, qui est au centre de ce récit, est analysée, décortiquée avec précision. Ce n'est pas tant l'Eglise qui est condamnée que son système tout aussi absolutiste que le règne du Roi.

De plus, ce livre interroge le brasier la conscience qui sommeille en vous : que voulez-vous devenir et en quoi croyez-vous ? Quel est le moteur de votre vie ? En quoi avez-vous Foi ?

J'espère que jamais, au grand jamais, une personne mal intentionnée sortira de sa caverne et établira autour de cette petite merveille un flot d'onanisme intellectuel qui priverait le feu allumé par ce récit de son oxygène.

Si le livre était un vin je dirais qu'il est subtil et équilibré en goût, que ses arômes fruités vous laissent sur la langue un parfum doux et sucré, relevé d'une amertume sur les notes profondes. Il ne reste plus qu'à boire à sa dive bouteille.

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