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Tsilla's Univers
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10 mai 2016

Mémoire sur Kaamelott, Introduction (extrait)

 « C'est le Saint Graal de la divine grâce,
Ses chevaliers puisent en lui l'ardeur.
De le servir quiconque obtient la gloire,
S'élève au rang d'un être surhumain;
Par lui le juste est sûr de sa victoire.
L'effort du crime expire sous sa main,
S'il doit partir vers une autre contrée,
Pour protéger le droit et la vertu,
Son pouvoir dure et sa force est sacrée »[1]

 Kaamelott du Graal au JDR Gazette du Geek (08)Telle est la description que donne Lohengrin du Saint Graal, dans l'opéra éponyme de Wagner. Cette définition  n'est ni universelle, ni univoque, car, le Graal est un objet de quête légendaire. Dans la Littérature, la représentation du Graal diffère selon les auteurs. Par exemple, dans les récits de Chrétien de Troyes,[2] le Graal était présenté sous la forme d'un calice qui aurait contenu le sang du Christ. Chez Wauchier de Denain,[3] le Graal était dépeint comme une corne d'abondance. Le Graal n'a pas d'aspect formel défini. Ses illustrations divergent beaucoup, car les artistes, au cours des siècles, lui ont prêté plusieurs formes, et donné plusieurs symboliques. Glorifié, détourné ou parodié, le Graal n'a jamais cessé de fasciner, sûrement parce qu'il est à la fois divin, mystérieux, et transcendant. D'ailleurs, Pierre Rivière dit que : « de tout temps et en tous lieux, le « réceptacle », ou récipient spirituel semble avoir été mis à l'honneur ».[4]Le Graal est donc sujet à diverses interprétations. En donner une définition précise relève de la gageure. De surcroît, il est difficile de déterminer son étymologie et son origine mythique.

Selon Mario Roques, le mot « Graal »  viendrait du latin gradalis et désignerait : « un récipient […] (de terre ou de bois), [...] assez profond, donc assez haut de bords et à fond non convexe ». Graal était aussi employé pour dénommer un « plat ». Dans les textes anciens, Graal désignait aussi de la vaisselle de table, et particulièrement des plats de présentation des mets » (sic.)[5]. Le Graal était donc un objet domestique. Pour Jean Frappier,[6] le mot Graal serait issu du latin médiéval gradale (attesté en 1010 dans le testament d'Armengol Ier d'Urgel en Catalogne). Il serait  peut-être un dérivé de « crater », signifiant « vase », ou de « garal », désignant un « récipient ». L'objet était alors désigné par ses parasynonymes « vaissel », « veissel », « vessel » ou « escuel ».  

Quant au mythe du Graal, il serait initialement  celte. L'objet était évoqué dans la légende intitulée La Mort du Cûroi. Dans celle-ci, le Graal était apparenté au chaudron du dieu Dagda. Il était, le plus souvent, accompagné par la lance du dieu Lug. Il permettait de ressusciter les morts, et abondait perpétuellement en nourriture. Cependant, d'autres représentations existaient dans d'autres pays à la même époque (notamment en Grèce, le Cratyle de Platon fait mention d'un objet semblable).[7]La genèse du mythe est donc elle aussi obscure.

            En Littérature, le mot « Graal » apparaît pour la première fois au milieu du XIIème siècle dans le Roman d'Alexandre.[8] Il fut popularisé sous la plume Chrétien de Troyes dans Perceval ou le conte du Graal. Il y acquit une dimension aux multiples facettes, comme le souligne Danielle Quéruel : « D'abord organisée sur le modèle féodal, l'institution de la Table ronde prend sa véritable signification lorsque les chevaliers sont lancés vers la quête de valeurs spirituelles. L'aventure du Graal en est la plus belle illustration. Le but de cette quête, c'est de parvenir à une forme de perfection morale et spirituelle, de renoncer aux valeurs mondaines et d'être parmi les élus qui rejoindront Dieu lors du Jugement Dernier ».[9] 

            Les récits chevaleresques traitant de la quête du Graal furent nombreux entre le XIIe et le XVe siècle. La place, le rôle et la forme du Graal évoluèrent : « le Graal devient chez Chrétien une splendide pièce d'orfèvrerie, faite pour le service d'une table royale, dont la nature merveilleuse demeure mystérieuse. (…) Plus tard, l'ermite (...) expliquera que le Graal est une "très sainte chose", dans laquelle est servie une hostie qui maintient en vie le Roi-Pêcheur »[10] Chrétien de Troyes ne fut pas l'inventeur du motif, cependant, il fut le premier à amorcer sa christianisation. Par la suite, les quatre Continuations de ce roman inachevé (rédigées par Wauchier de Denain, Manessier et Gerbert de Montreuil entre la fin du XIIe siècle et les années 1230) transformèrent les épopées chevaleresques en quêtes mystiques, déployant le caractère sacré et chrétien du Graal. Entre le XIIe et le XIIIe siècles, le Graal, dans le roman versifié l'Estoire dou Graal, puis dans les romans en prose Joseph d'Arimathie et l'Estoire del Saint Graal fut assimilé, par leur auteur supposé Robert de Boron, au calice qui aurait recueilli le sang du Christ : « Chez Robert de Boron, le Graal émet un rayonnement divin, une lumière due à la présence mystique du Christ. Avec le mythe du Graal apparaît donc l'espoir de la rédemption et la croyance que le monde pourra être libéré du mal. La quête du Graal devient la quête de la vérité ultime, de la Connaissance, pour un monde qui va vers son achèvement. »[11]Le cycle du Graal, constitué de cinq romans : l'Histoire du Saint Graal, le Merlin en prose, le Lancelot en prose, la Quête du Saint Graal et la Mort du roi Arthur (certainement écrits dans les années 1220-1230) participa à la sacralisation du Graal. Les aventures épiques des chevaliers se métamorphosèrent alors en « catéchisme de la chevalerie »,[12]rédigé sous forme de récits mystiques et allégoriques. Le Graal devint : « une relique dotée d'un double caractère sacré puisque le Christ y a pris son dernier repas et que Joseph d'Arimathie l'utilise comme réceptacle du Précieux Sang. Il est en outre conservé dans une arche sainte dotée de propriétés merveilleuses et interdite d'accès au commun des mortels, qui n'est pas sans rappeler l'arche d'alliance conservant les Tables de la Loi données à Moise et au peuple d'Israël dans le désert».[13]

            Pour Alain Guerreau, cet engouement pour le Graal et cette multiplicité des récits s'explique par le fait que : « L'adoubement chevaleresque est un phénomène marginal qui s'étend sur deux siècles (…) l'époque des romans de chevalerie et des romans courtois. Mais la chevalerie fut avant tout une manière pour l'aristocratie de tenter de se hausser au niveau de spiritualité des clercs. Ce n'est pas un hasard si le Graal a tenu une place considérable dans l'idéologie aristocratique des XIII, XIV et XV siècles : sa quête est une façon de revendiquer une légitimité de type ecclésial -la seule possible- par la possession et la garde du sang du Christ. Mais cela n'a jamais fonctionné que dans l'esprit des aristocrates ».[14]

            Après le succès rencontré au Moyen-Âge, il fut notamment évoqué dans le Quart Livre (attribué à Rabelais), au chapitre XLII et XLIII. La littérature chevaleresque se diversifia alors. Elle connut un large succès. Les légendes arthuriennes, contrairement aux autres récits plus populaires, étaient lues par un public cultivé et nostalgique de la tradition médiévale.[15] Cependant, l'effervescence ne dura pas. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, les réécritures se raréfièrent.[16]

            La quête du Graal, en tant que motif littéraire, passionna de nouveau le public du XIXe siècle, notamment sous la plume de George Sand, qui acheva en 1844, ses romans Consuelo, La Comtesse de Rudolstadt.[17] Le vase sacré contenait alors « le sang et les larmes du Christ ». Puis, la résurgence de la légende Arthurienne dans les poèmes de Tennyson (Idylls of the King, 1859-1891), à l'opéra (Wagner) ou encore en peinture avec les peintres préraphaëlites, contribua à alimenter le brasier culturel qui ravivait le mythe.[18]

            Dès lors, les réminiscences du Graal, au cours des XXe et XIXe siècle,  foisonnèrent dans les divers domaines artistiques. D'un support à l'autre, le mythe s'enrichit. En effet, « la matière du mythe est plus complexe et les problématiques s'amplifient ».[19] Les réalisateurs du Septième Art s'emparèrent du motif et le portèrent au grand écran, comme Les Monty Python dans Sacré Graal !, filmréalisé par Terry Jones et Terry Gilliam, en 1975. En 2008, les créateurs de la série Merlin, Julian Jones, Jake Michie Johnny Capps et Julian Murphy, transposèrent librement l'imaginaire arthurien à la télévision.  En étant adapté du papier à l'écran, le mythe fut souvent vulgarisé. En effet « Le motif a ressenti un désinvestissement du sacré vers le profane populaire ». [20] Ce renouveau s'expliquerait, selon Anne Besson, par la « plasticité du mythe ». [21]

            En effet, bien qu'il soit indéfinissable, le Graal pourrait être caractérisé par quatre schèmes.[22]D'abord, le Graal est divin. Catholique ou païen, il appartient à un monde transcendant. Ensuite, le Graal dispense la vie éternelle ou de la nourriture à profusion. Puis, le Graal est apparenté à un récipient : plat, vaisselle, calice ou chaudron. Enfin, le Graal est associé au thème de la quête.

            Ces aspects, Alexandre Astier les a pleinement intégrés à l'écriture de sa série Kaamelott (produite par CALT, en 2005) : «  J'ai compris une chose : ce qui est important n'est pas ce qu'on raconte, mais ce qu’il y a dessous. C'est l'aspect mythologique et l'aspect commun qui parle à tout le monde qui est important. Si vous allez dans une surface spécialisée, vous pouvez prendre tous les DVD qui sont dans tous les rayons et les diviser, en terme de structures, en quatre ou cinq cartons, pas plus. Tous les films racontent la même histoire, il existe plusieurs traitements derrière. En ce qui me concerne, le traitement arthurien ne m'ennuie pas ».[23] La série Kaamelott traite de la légende arthurienne, et le Graal tient une place singulière dans le scénario de cette shortcom[24] à la fois comique, tragique, ironique et dramatique.

            Kaamelott narre l'histoire d'Arthur, fils adultérin de Pendragon. [...]

             Dans cet univers mythique, teinté de fantasy,[27] le Graal et la quête du Graal occupent donc une place centrale.

            La série est un subtil mélange de parodie, de comédie et tragédie, de cynisme, d'ironie, de drame et d'épopée. Elle joue sur le retournement, le détournement des situations et des mythes. Cette recette a fait le succès de son créateur-scénariste-monteur-compositeur-réalisateur-acteur principal : Alexandre Astier.  « Aussi étonnant que cela puisse paraître, (…) [Alexandre Astier] n'est pas un sérivore enragé. Ses séries préférées se comptent sur les doigts d'une main, et elles ne sont pas forcément celles que l'on pouvait attendre. Le créateur de Kaamelott est-il addict de la série moyenâgeuse du moment Game of Thrones ? Et bien non ! L'intérêt d'Alexandre Astier se porte en priorité sur l'humain : «Je veux voir des anti-héros !» supplie-t-il. Il est davantage friand d'un jeu d'acteur excellent dans un scénario simplissime, plutôt que l'inverse : « Le but de Kaamelott c'est ça : c'est la quête du Graal et les mecs qui s'en occupent, ils sont voilà … (il fait un mouvement de main équivoque, désignant le bas) »(sic.).[28] Effectivement, les chevaliers de Kaamelott ne sont ni des légendes, ni des lumières. Ils ne comprennent pas la portée symbolique du Graal.

[...]

        


[1]« Richard Wagner », Richard Wagner dans son opéra Lohengrin (opéra) en 1850 cité par Ernest Schmitt, Monde du Graal, nº hors-série n°4, novembre 2001

[2]Chrétien de Troyes, Le conte du Graal in Œuvres complètes, édition et traduction sous la direction de Daniel Poiron, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1994, 1600 p.

[3]Bossuat, Robert, Manuel bibliographique de la littérature française du Moyen Âge, Melun, Librairie d'Argences (Bibliothèque elzévirienne. Nouvelle série. Études et documents), 1951, p. 172, nos 1849 et 1851; p. 173, nos 1862-1863; p. 174, no 1880; p. 456, no 379

[4]Pierre Rivière, Le Graal, histoire et symbole, Éditions du rocher, 1990, Monaco, p 25

[5]« Le Graal de Chrétien de Troyes » in Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1954, volume 98, numéros 3, p 366-367

[6]Claude Lachet, Les métamorphoses du Graal anthologies, GF Flammarion, 2012, Paris, p15

[7]Pierre Rivière, Le Graal, histoire et symbole, Éditions du rocher, 1990, Monaco, p 26

[8]Roman d'Alexandre, ms. de Venise ds Elliott Monographs, t. 1, p. 33, 618

[9]Danielle Quéruel, « La chevalerie arthurienne », exposition « arrêt sur Arthur », BNF

[10]Danielle Quéruel, « Le Conte du Graal », exposition « arrêt sur Arthur »,

[11]Danielle Quéruel, « Le Conte du Graal », exposition « arrêt sur Arthur », BNF

[12]Bernard Felix, Autour du Graal, Librairie Droz , coll. Publications romanes et Française, 1977, Genève, p 89-129

[13]Danielle Quéruel, « Le Conte du Graal », exposition « arrêt sur Arthur », BNF

[14]Serge Tignères, Interview Alain Guerreau, « la Féodalité, terme forgé au XVIIe siècle, une pure fiction », pour Les cahiers de Science et Vie, L'âge féodal, n° 144, avril 2014, p 96

[15]Eva Kushner (dir.), L'époque de la Renaissance, tome III, Maturations et mutations (1520-1560), John Benjamins Publishing Compagny Amsterdam/Philadelphia, collection Histoire comparée de la Littérature des langues européennes, 2011, p 323

[16]Le mythe du Graal ne fut préservé dans les textes que grâce au concours de la Bibliothèque Universelle des Romans du comte de Tressan, la Bibliothèque Bleue de Troyes et de Paris, et la Nouvelle Bibliothèque d'après Eva Kushner, Ibid, p 323

[17]Michèle Hecquet, Christine Planté (dir.), Lecture de « Consuelo », « la comtesse de Rudolstadt », Presses Universitaires de Lyon, 2004, Lyon, p 344

[18]Anne Besson (dir.), Le Roi Arhtur au miroir du temps, Terre de Brume, essais, Dinan, 2007

[19]Bekhouche Alicia (dir. Toudoire-Surlapierre Frédérique), À la conquête du Graal, réécritures et avatars du mythe du Graal dans la littérature populaire et la culture de masse, Université de Haute Alsace, (thèse de littérature comparée), 9 décembre 2011, p23

[20]Ibid, p 25

[21]Anne Besson (dir.), Le Roi Arhtur au miroir du temps, Terre de Brume, essais, Dinan, 2007, p 207

[22]Marie-Hélène Boblet (dir.), Chances du roman, charmes du mythe. Versions et subversions du mythe dans la fiction francophone depuis 1950, Paris : Presses de la Sorbonne nouvelle, 2013

[23]Cédric Melon, Interview d'Alexandre Astier, SérieScope 

[24]Une shortcom est un programme court qui se situe entre le sketch et la comédie. Les épisodes durent en moyenne entre une et sept minutes. Un gars, une fille, est la première shortcom diffusée en France.

[25]Cet arc narratif est développé dans la saison 6 de Kaamelott, qui sert en fait de prequelle à la série. Une préquelle est une œuvre dont le récit précède une œuvre antérieurement crée.

[26]Alexandre Astier (real.), Kaamelott, Livre III, La Chevalerie, M6 Vidéo, 08/11/2006

[27]« Genre littéraire qui mêle, dans une atmosphère d’épopée, les mythes, les légendes et les thèmes du fantastique et du merveilleux. (Recommandation officielle : fantasie.) [On dit aussi heroic fantasy.] » d'après Larousse, Éditions Larousse, « fantasy », 2014

[28]Mathilde Saez, Entretien d'Alexandre Astier, pour télé-loisirs, Prisma Média (G+J Network),2013  

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Commentaires
G
Graal => Alliance ? <br /> <br /> Ou Graal => enfant de Aconia qui se tient le ventre en lui disant adieu ?
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